Malheureusement, c’est ce à quoi des millions de personnes souffrant de douleur chronique sont confrontées chaque jour. Et trop souvent, leur condition est stigmatisée, voire niée. Docteur en épidémiologie de la douleur chronique, j’ai l’opportunité de travailler avec des patients et des patients partenaires. Avec une prévalence aussi élevée et des conséquences aussi multiples, il est temps d’apporter un vent de changement à cette maladie stigmatisée.
Douleurs basiques et douleurs aiguës
Avant de parler de douleur chronique, commençons par le début. La douleur entraîne-t-elle toujours des conséquences aussi négatives ? Bien sûr que non. La douleur est nécessaire pour que nous puissions fonctionner correctement. Il agit comme un système d’alarme pour nous avertir qu’il y a un danger. Par exemple, si nous posons accidentellement notre main sur la plaque du four laissée ouverte et chaude, un message de douleur sera envoyé à notre cerveau. Avant même que nous puissions y penser, notre main sera retirée de la plaque chauffante, nous évitant ainsi une grave brûlure. Cette douleur nous permet d’avoir les réflexes nécessaires pour éviter le pire. La douleur peut aussi durer un peu plus longtemps. Cela se produit, par exemple, après une blessure, une opération ou une infection. Ces douleurs disparaissent souvent d’elles-mêmes après un cycle normal de cicatrisation ou disparaissent à l’aide de certains traitements. C’est ce qu’on appelle la douleur aiguë. Une douleur de courte durée qui est davantage perçue comme un symptôme.
La douleur chronique, une maladie aux effets multiples
Lorsque cette douleur persiste au-delà du temps normal de cicatrisation, elle n’est plus considérée comme un simple symptôme, mais comme une maladie en soi. C’est ce qu’on appelle la douleur chronique. La douleur chronique est définie comme une douleur qui persiste pendant au moins trois mois. Cependant, pour la grande majorité des personnes vivant avec cette maladie, la douleur persiste pendant plusieurs années. Oeuvre “Déplacement” de Chloe Fleisher, 13 ans, qui vit avec des douleurs chroniques. Soumis dans le cadre du concours d’art intitulé “Douleur et santé mentale”, ce dessin a remporté un prix de la Société canadienne de la douleur en 2022. (Marimée Godbout-Parent), fourni par l’auteur Ces personnes manquent en quelque sorte le message douloureux. Celui-ci n’est plus là pour nous avertir du danger, mais devient un fardeau en soi. La douleur chronique peut survenir à la suite d’un cancer, d’un accident ou même après une intervention chirurgicale. Malheureusement, il arrive aussi que l’on n’arrive pas à en trouver la cause. Cela complique le travail de traitement. Bien que cette maladie demeure méconnue, elle touche près de 20 % de la population canadienne. Considérant que notre population est estimée à près de 39 millions en 2022, cela signifierait qu’environ 7,5 millions de personnes vivent avec des douleurs chroniques. À titre de comparaison, 7,5 millions de Canadiens égalent l’ensemble de la population du Québec. Un chiffre impressionnant et alarmant. En plus de toucher une grande partie de la population, la douleur chronique cause plus que de la douleur physique. Cette condition affecte le fonctionnement quotidien, le bien-être psychologique, la qualité de vie, la vie sociale et le travail des personnes vivant avec cette maladie. Imaginez que vous souffrez tellement que cela réduit votre capacité à travailler, à jouer avec vos enfants, à voir vos amis, à vous concentrer et même à affecter votre capacité à accomplir les tâches quotidiennes. Malgré le désir de la personne de rester active, le corps ne peut pas suivre. Il n’est donc pas étonnant que des conséquences telles que la fatigue, la frustration, la tristesse, l’anxiété et la dépression s’ensuivent. Ainsi, le chevauchement constant entre les difficultés physiques, psychologiques et sociales provoque une détresse profonde dans cette population.
Une maladie stigmatisée
Malgré les implications importantes qui y sont associées, la douleur chronique reste largement stigmatisée. En effet, les attitudes négatives et les croyances selon lesquelles les personnes souffrant de douleur chronique sont dépendantes de leurs médicaments, qu’elles ont souvent tendance à exagérer la gravité de leur état, qu’elles sont en fait simplement paresseuses, qu’elles ne veulent pas s’entraider, sont répandues . . La douleur chronique est une maladie bien réelle. Connaissant les multiples conséquences et la prévalence de cette maladie, pourquoi y a-t-il encore tant de préjugés et de stigmatisation contre ceux qui souffrent de douleur chronique ? C’est une question qui reste en suspens. Pour certains, ce que vous ne voyez pas n’existe pas. Puisque la douleur est une expérience individuelle, nous n’avons pas d’appareil spécifique pour la détecter ou nous ne pouvons pas nécessairement la voir, la douleur peut sembler invisible. Nous avons du mal à ressentir de la sympathie ou de la compréhension pour des choses qui ne peuvent pas être expliquées médicalement à l’aide de tests médicaux, de radiographies.
Comment devenir un allié
Ainsi, malgré les nombreuses explications des patients, ils doivent souvent faire face aux préjugés des professionnels de santé, de leur entourage ou de la population en général. De nombreuses personnes souffrant de douleur chronique ont l’impression que leur douleur n’est pas comprise par leurs amis, leur famille, leurs employeurs ou même leurs professionnels de la santé, ce qui accroît les sentiments d’impuissance, de tristesse et de colère. En plus de faire face aux difficultés de la douleur chronique, la rétroaction reçue impose un fardeau inestimable à ces personnes. Francine, qui vit avec des douleurs chroniques depuis 15 ans, reçoit régulièrement ce genre de commentaires de son entourage : Eh bien, voyons, vous n’avez marché que 10 minutes, vous pouvez en faire plus. Alors poussez-vous un peu. Sylvie, qui vit avec des douleurs chroniques depuis 17 ans, doit composer avec les commentaires de son médecin : Vous êtes le seul patient que je n’ai pas pu soulager avec des injections depuis 40 ans, peut-être devriez-vous voir un psychologue. Ces phrases, qui peuvent sembler anodines pour certains, sont souvent lourdes de sens pour ceux qui les entendent au quotidien. Accepter la maladie est une étape importante et difficile. Cela ne devrait pas être couplé avec la rédaction de tels commentaires désobligeants. Sans être des experts dans le domaine, nous pouvons tous jouer un rôle, directement ou indirectement, dans la vie de ces personnes. Offrir une écoute active et compréhensive, ne pas être rapide à juger et reconnaître sa situation est déjà un grand pas dans la bonne direction. Le soutien et la communication avec votre entourage sont des éléments à ne pas négliger, qui peuvent assurément faire une différence positive. Cet article a été rédigé en collaboration avec Sylvie Beaudoin et Christian Bertrand, patients et patients partenaires