Le ministère de l’Agriculture ne pourra plus dire qu’il ne sait pas. Mardi, l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (Anses) publiera son expertise sur les risques liés à la consommation de nitrites, les conservateurs qui donnent au jambon sa couleur rose et empêchent la formation de bactéries toxiques. Selon une synthèse de cet avis initialement attendu en 2021, qui a été obtenue par le JDD, l’Anses apparaît désormais du côté des opposants à ces additifs chimiques qui sont présents dans 75 % des charcuteries vendues en GMS. Les treize chercheurs – toxicologues, épidémiologistes, microbiologistes ou chimistes – qui ont rédigé le rapport, ainsi que deux conseillers scientifiques de l’agence et de son administration, confirment l’existence d’un risque et recommandent de « réduire l’exposition de la population par des mesures préventives en limitant l’exposition par l’alimentation », dans un souci de « sécurité sanitaire ».
4 000 cas de cancer du côlon attribués à la consommation de charcuterie en France
La véritable innovation apparaît à la page six de ce document : “l’analyse des données de la littérature confirme l’association entre le risque de cancer du côlon” et l’exposition aux nitrites. En 2018, l’OMS estimait que près de 4 000 cas de cancer du côlon étaient dus à la consommation de charcuterie en France, mais le lien entre les nitrites et le cancer n’a pas été prouvé. « De nouvelles études épidémiologiques montrent qu’elles augmentent le risque de cancer, précise une source au cœur du dossier. Ils ne sont pas dangereux en eux-mêmes. la toxicité provient de leur association avec d’autres composés de la saucisse et des substances formées lors de leur dégradation dans le tube digestif. C’est pourquoi l’Anses recommande la production de données scientifiques pour réviser les doses journalières admissibles (DJA) en tenant compte de la toxicité de ces substances. Il suggère également de veiller à la qualité de l’eau du robinet, qui à certains endroits est très riche en nitrates. Enfin, l’agence appelle à poursuivre les recherches sur d’autres pathologies, notant que des travaux scientifiques récents suggèrent des liens possibles avec d’autres types de cancer. “Mais dans ce cas, le niveau de preuve n’est pas suffisant”, nuance la même source. A lire aussi – Alerte cancer du jambon : ‘Il y a un vrai risque’ Le gouvernement suivra-t-il les conseils de l’agence de santé? Ce rapport va-t-il bousculer l’agence européenne Efsa, qui s’occupe aussi de la question des nitrites ? Va-t-il convaincre d’autres fabricants, après Herta ou Fleury Michon, de lancer une gamme de produits à base de viande grise ? Rien n’est moins sûr car, selon le lanceur d’alerte Guillaume Coudray, auteur des Cochonneries (éditions La Découverte), “le puissant lobby des charcutiers” ne manquera pas de remettre en cause la pertinence de ce dossier scientifique, “comme il l’a fait avec les précédents avis”. Cependant, le Coudray y voit, de l’avis de l’Anses, « un tournant historique et politique » : « Je m’intéresse à cette question depuis plus de dix ans et c’est la première fois que le lien entre cancer et additifs nitrés est écrit en noir comme ça en blanc”. A ses yeux, un rapport d’expertise aussi sérieux n’aurait jamais pu voir le jour sans l’activisme du membre du Congrès Richard Ramos, à la pointe de la lutte contre ces produits chimiques.
“Danger pour les bébés. »
De son côté, cet élu Modem de la Loire, co-auteur en 2021 d’un rapport appelant à la suppression progressive des nitrites, se réjouit : « L’Anses reconnaît enfin que les charcuteries tuent et pointe même un risque pour les bébés. “Au front pendant deux ans et demi avec l’application de nutrition Yuka, le groupe de défense des consommateurs Foodwatch et la Ligue contre le cancer, il dit attendre la publication de l’avis pour” appeler à leur interdiction “tout en donnant à l’industrie “des délais pour convertir”. Le député ajoute que si le ministère de l’Agriculture, prenant en compte les arguments de la Fédération française des bouchers industriels, selon lesquels l’interdiction des nitrites aurait des conséquences sanitaires désastreuses, proposait finalement une simple baisse de la DJA, il ne le fera pas, il est satisfait. Lire aussi – JDD INFO. Le rapport de l’Anses sur les nitrites dans le jambon s’enlise A la rentrée, Ramos envisage d’étendre sa croisade anti-nitrite au niveau européen. Un pas a déjà été franchi au Royaume-Uni, où des députés de diverses tendances politiques ainsi que des scientifiques de renom ont écrit au nouveau secrétaire à la santé pour lui demander d’ouvrir le débat sur leur toxicité dans les charcuteries. Le 8 juillet, le quotidien The Guardian racontait ainsi les prémisses de cette bataille du bacon… importé d’outre-Manche.