Histoire courte “Les Miracles de Vel’d’Hive” (1/4). Les 16 et 17 juillet 1942, à Paris, la gendarmerie française organise le plus grand rassemblement de femmes, d’hommes et d’enfants juifs. Destination finale : camp d’extermination d’Auschwitz. Quatre-vingts ans plus tard, “M” revient sur cette page honteuse de l’histoire de France à travers les récits des rescapés. Comme Paulette, Bernard et Nathan sont passés entre les mailles du filet. La rue des Immeubles-Industriels est un tronçon de 180 mètres et d’une vingtaine de numéros, caché derrière la place de la Nation, dans le 11e arrondissement de Paris. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour décaper le vernis peiné et retrouver la rue populaire avec la gravure des ateliers du rez-de-chaussée et de l’entresol tel un palimpseste, pour respirer la poussière de bois crachée par les multiples ébénistes. revoir les hommes aux manches de chemise retroussées sur les avant-bras, et les femmes aux robes sans affection, pour entendre à nouveau les jeux des enfants sur le trottoir, les klaxons des bicyclettes, et les interjections yiddish décrites quelques jours plus tôt. Paulette Kryger, 95 ans, son frère Bernard, 85 ans, et Nathan Cymes, 90 ans, qui ont connu ce Paris. “Personne n’a verrouillé sa porte”, se souvient Nathan. La route était un village. “… C’est ce village, cette vie que vint anéantir le matin du 16 juillet 1942, une armée de gendarmes. Des paires de prisonniers, comme on les appelait dans les documents officiels, occupaient chaque escalier, avec des listes de Juifs à arrêter. Paulette, Bernard et Nathan tombent dans les mailles du filet, et ces survivants se posent une question existentielle immense et non résolue depuis quatre-vingts ans : pourquoi ont-ils échappé à ce qui a été fait d’histoire par la collection de Winter’s Bell ? Pourquoi ne se sont-ils pas retrouvés comme leurs voisins, leurs camarades de classe, dans ce lieu encore inconnu, à vrai dire inimaginable, baptisés pour l’éternité Auschwitz-Birkenau ? “Ça me surprend chaque jour que je vis”, assure Paulette Conté, née Kryger. Je ne crois pas au mot chance. Je préfère le mot destin. Elle aime aussi l’expression “main tendue”. Parce qu’ils ont existé et grâce à cette aide ils sont là pour dire. Rue des Immeubles-Industries, Paris, juin 2022. ANAÏS BARELLI POUR ‘M LE MAGAZINE DU MONDE’
A Paris et sa banlieue, au soir du 15 juillet 1942, plus de 27 000 personnes gisaient sur les listes de la police. Le quota n’est rempli qu’à moitié, provoquant la fureur des autorités allemandes et les remords des responsables parisiens. Mais l’État français avait mis le zèle servile nécessaire : 4 500 policiers et gendarmes avaient été déployés. Un rapport de la police préfectorale en date du 20 juillet fait état de 13 152 interpellations : 3 118 hommes, 5 919 femmes et 4 115 enfants. Alors que 4 000 adultes sans enfants ont été conduits directement à Drancy, les familles sont restées jusqu’à cinq jours au Vélodrome d’Hiver, rue Nélaton, dans le 15e arrondissement. De là, ils sont conduits dans deux camps d’internement sur la Loire : Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Avant d’être déporté à Auschwitz. Vous avez lu 88,08% de cet article. Ce qui suit est réservé aux abonnés.