Posté à 5h00
                Marie-Ève ​​Fournier La Presse             

Les vacances ont toujours été un indicateur d’inégalités sociales. Mais cet été le phénomène s’intensifie. Il est impossible d’ignorer les effets de l’inflation atteignant des sommets jamais vus depuis 40 ans. Lorsque tous les prix augmentent, votre budget vacances en souffre. A cela s’ajoutent les conséquences de la pandémie sur le marché du travail. Lorsque la COVID-19 est entrée dans nos vies, ce sont surtout les personnes à bas salaire qui ont perdu leurs moyens de subsistance. Les statistiques l’ont montré : le fossé économique s’est creusé entre riches et pauvres. Parmi les hommes et les femmes également, car ils étaient surreprésentés dans les secteurs touchés tels que l’hôtellerie, la vente au détail, la restauration, le nettoyage et les arts. PHOTO FOURNIE PAR JULIA POSCA Julia Posca, chercheuse à l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) Ces personnes “ont dû changer de travail et repartir à zéro en cumulant les congés”, note la chercheuse à l’Institut de recherche et d’information socio-économiques (IRIS) Julia Poska. Selon les normes québécoises, un employeur n’est pas tenu d’accorder plus de deux semaines de vacances payées à ses employés avant leur troisième année de service. En cette saison estivale inflationniste, les moins nantis qui rêvent d’escapades souffrent donc doublement. Même en temps normal, “les personnes en situation précaire, exerçant un travail aliénant sans grande reconnaissance, sont généralement celles dont les conditions de travail comportent le moins de pauses”, écrivait Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’IRIS, dans un séjour d’étude publié en 2017. C’est pourquoi Julia Posca est favorable à une révision des normes du travail. Il pourrait être envisagé, suggère-t-il, d’accorder des congés payés en fonction des jours travaillés dans l’année, quel que soit le nombre d’employeurs. Cette comptabilité existe en Belgique. INFOGRAPHIE LE TYPE “C’est important, la durée des vacances, rappelle le chercheur. Il faut plusieurs jours pour ressentir l’effet du repos. Donc, deux semaines, c’est vraiment minime, mais il y a des gens qui n’y ont même pas accès. Nous ne sommes pas dans une économie où l’accès aux vacances est une évidence pour tout le monde. » Certes, les vacances n’ont pas le monopole de la représentation des inégalités sociales. Nourriture, choix de voiture, type d’hébergement. Les illustrations sont partout. Mais si vous pouvez vivre sans manger de filet, sans boire de champagne, sans avoir de piscine creusée et de bateau dans la marina, pouvez-vous vous passer de vacances ? Pas vraiment. On ne compte plus les études qui ont prouvé ses bienfaits, tant pour la santé mentale que pour la productivité et la motivation au travail. Les vacances peuvent réduire l’absentéisme, l’assiduité, le stress et le risque d’épuisement professionnel, notent les experts. Bref, assurer l’efficacité des travailleurs, explique le sociologue Jean Viard dans un article du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Les pauses sont essentielles à la productivité. Penser que nous produisons beaucoup parce que nous travaillons beaucoup est absurde. Jean Viard, sociologue Les vacances d’été ou d’hiver permettent aussi de développer des liens de confiance, d’enrichir les gens de nouvelles expériences et d’interactions sociales différentes, explique Eve-Lyne Couturier. Ils réduisent la peur de l’inconnu. Et cela s’avère être des moments privilégiés pour les sentimentaux, car “on retrouve la famille”, plaide Jean Viard, à une époque où les couples passent peu de temps de qualité ensemble. “Il est dans l’intérêt de tous de garder les gens en bonne santé. Il y a des coûts pour les entreprises et pour la société dans son ensemble. Le manque de vacances met la pression sur le système de santé”, explique Julia Poska.

Jouez sans routine

PHOTOMONTAGE LE TYPE Les temps d’arrêt sont tout aussi importants pour les enfants, y compris ceux de la garderie. On y joue, c’est vrai, mais dans un contexte “émotionnellement épuisant”, explique François Couture, consultant en petite enfance chez CASIOPE, un organisme professionnel d’accompagnement des acteurs de la petite enfance. Dans un espace réduit et bruyant, les tout-petits doivent composer avec la vie de groupe, les routines strictes, la personnalité des autres, les morsures, les disputes, les crises de colère. Les vacances – même celles à la maison qui ne coûtent rien – sont donc essentielles pour réduire le niveau de stress, l’anxiété et le risque de maladie mentale, insiste François Couture, conseiller préscolaire chez CASIOPE. Cela semble aller de soi. Mais de plus en plus de parents l’ignorent ou l’ignorent. Malheureusement, ils ne voient pas l’intérêt de limiter le nombre d’heures ou de semaines qu’ils passent en CPE ou en garderie. “Au fil des années, j’ai l’impression que ça se généralise”, rapporte François Couture, qui parle même de “tendance”. Un travail de pédagogie sur les bienfaits des vacances devrait être fait de façon continue. L’idée n’est pas de culpabiliser les parents, surtout ceux qui n’ont pas eux-mêmes de congés payés. C’est juste qu’il faut faire passer le message sur l’importance des journées pyjama sans horaire précis, des week-ends qui sortent les enfants de la routine car on dort sous une tente au milieu du salon. Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve de Montréal, la Fondation du Dr Julien est à son camp de jour gratuit pour permettre à plus d’une centaine de jeunes en « stress toxique » de s’évader. Dans tous les sens du terme. Ces enfants qui ne vont jamais bien loin avec leurs parents découvrent la plage d’Oka, le Centre des sciences et le St. Laurent. “Ça leur montre que l’horizon est plus large qu’ils ne le pensaient”, explique Fouade Bouajaj, intervenant psychosocial à la Fondation. Ces sorties permettent aussi de “casser les murs autour des enfants” et de leur donner confiance. Après tout, nous n’avons pas besoin d’aller bien loin pour récolter les fruits des vacances.

Toujours l’avion, jamais l’avion

PHOTOMONTAGE LE TYPE De nombreuses familles ressentent la pression de planifier de grands voyages pour profiter au maximum de chaque jour de congé. Pas question de se loger à Balconville. Des photos de gens heureux en vacances sur les réseaux sociaux mettent en lumière cette pression, estime le sociologue Gilles Pronovost, professeur émérite au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’UQTR. PHOTO FOURNIE PAR L’UQTR Gilles Pronovost, sociologue et professeur émérite au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’UQTR Si vous ne partez pas, vous vous sentez marginalisé, défavorisé. Les vacances sont un droit et quiconque n’y va pas est sur la touche. Gilles Pronovost, sociologue Cela dit, les voyages sont devenus “beaucoup plus démocratiques”, estime le professeur. La semaine de camping, la plage et les chalets sont accessibles à une partie importante de la société, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il en va de même pour un séjour en tout-inclus à Cuba, qui est “moins cher qu’une semaine au Québec”, estime Moscou Côté, président de l’Association québécoise des agents de voyages. Cependant, l’inflation est partout cet été, forçant certains ménages à revoir leurs plans. Selon un sondage Léger réalisé fin mai, 17 % des Québécois prévoient annuler ou modifier leurs projets de vacances à cause du prix du gaz naturel. Quelques…