Posté à 5h00
                Martin Vallières La Presse             

Un revirement jamais vu auparavant

PHOTO DE JONATHAN ERNST, DOSSIER REUTERS “Les données sur l’inflation publiées en juin ont surpris tout le monde, ce qui a forcé la Réserve fédérale américaine à être plus “agressive” dans la hausse des taux d’intérêt”, a déclaré Martin Lefebvre de la Banque Nationale. Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la situation afin de développer un portefeuille fictif avec un capital initial de 100 000 $. Lors de ce troisième rendez-vous en 2022, ces experts passent brièvement en revue le deuxième trimestre des marchés de l’investissement financier et exposent leurs perspectives d’avenir. Ils calibrent également leurs allocations d’actifs individuelles pour le troisième trimestre 2022 sur la base d’un portefeuille de référence équilibré, soit 60 % en actions et 40 % en obligations et liquidités, avec des marges de distribution limitées à 10 % en plus ou en moins.

Quels constats pour le deuxième trimestre ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, répartition mondiale de l’actif, Fiera Capital

PHOTO AVEC LA COURTOISIE DE FIERA CAPITAL Candice Bangsund Le premier semestre de l’année s’est terminé de manière désastreuse pour les marchés financiers, les craintes d’une récession ayant augmenté alors que les banques centrales augmentaient fortement les taux d’intérêt pour juguler l’inflation, la plus élevée depuis des décennies. Les marchés boursiers et obligataires ont connu une faiblesse notable, laissant peu de zones de protection aux investisseurs face à l’escalade des risques macroéconomiques. Au deuxième trimestre, les principales places boursières ont enregistré leur pire recul depuis le début de la pandémie. La baisse a été généralisée sur l’ensemble du marché, sans qu’aucune industrie ou région économique n’ait été épargnée. La déroute du marché obligataire s’est poursuivie au deuxième trimestre, les banques centrales ayant intensifié les hausses de taux d’intérêt en réaction à la forte inflation.

Michel Doucet, vice-président, stratège en placement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

PHOTO FOURNIE PAR DESJARDINS GESTION DE PATRIMOINE Michel Doucet Malgré des signes précurseurs au premier trimestre, les marchés financiers ont encore été surpris au deuxième trimestre par la hausse de l’inflation et un changement soudain de politique monétaire par les banques centrales [remontée des taux d’intérêt] pour y faire face. Sur le marché boursier américain, en particulier, des vagues de négativité ont poussé le S&P 500 en territoire baissier [marché baissier] tandis que les interrogations des investisseurs se multiplient sur la poursuite des politiques de taux d’intérêt, la situation financière et l’évolution des prochains résultats des entreprises. Quant au marché boursier canadien, il s’est relativement bien comporté jusqu’en juin. Mais c’était avant que les signes d’une récession mondiale ne frappent, faisant chuter les prix des produits de base et du pétrole, deux secteurs qui ont un impact important sur l’indice S&P/TSX du Canada.

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

PHOTO BERNARD BRAULT, DOSSIER DE PRESSE Martin Lefebvre Ce deuxième trimestre a été sans précédent avec autant de surprises sur les marchés financiers et l’économie par rapport à notre scénario de prévision de base. En particulier, les données sur l’inflation publiées en juin [pour le mois de mai] a pris tout le monde par surprise, ce qui a forcé la Réserve fédérale à être plus “agressive” dans la hausse des taux d’intérêt. Du coup, le scénario économique de base d’une croissance modérée a fait place à un scénario de risque de récession et d’effets négatifs sur les résultats ultérieurs des entreprises. Un tel revirement a inévitablement eu un impact sur les marchés boursiers, avec une autre grosse vague de volatilité à la fin du deuxième trimestre.

Hugo Ste-Marie, directeur de la stratégie de portefeuille et de l’analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

PHOTO AVEC LA COURTOISIE DES MARCHÉS MONDIAUX DE LA BANQUE SCOTIA Hugo Ste-Marie Le deuxième trimestre a confirmé l’accélération de l’assouplissement de la politique monétaire attendue dès le premier trimestre en réponse à des pressions inflationnistes de plus en plus fortes. Cela signifie qu’à mesure que les anticipations de hausse des taux d’intérêt augmentent, la probabilité d’un atterrissage en douceur de l’économie diminue et le risque d’une récession augmente, ce qui suggère un impact négatif sur les résultats ultérieurs des entreprises. Cette dynamique, amorcée au premier trimestre, s’est intensifiée au deuxième trimestre, entraînant l’une des plus fortes contractions des multiples sur les marchés financiers depuis trente ans.

Quelles perspectives d’avenir ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, répartition mondiale de l’actif, Fiera Capital

Les fortes pressions inflationnistes ont intensifié le resserrement de la politique monétaire [taux d’intérêt] banques centrales, ce qui remet en cause les perspectives de l’économie mondiale. Alors que le cycle de resserrement limitera certainement l’activité économique, l’ampleur de ce ralentissement dépendra de la rapidité avec laquelle les banques centrales devront relever davantage les taux d’intérêt afin de rétablir la stabilité des prix. La trajectoire des taux d’intérêt et de l’économie sera dictée par la dynamique de l’inflation qui, jusqu’à présent, montre peu de signes d’essoufflement. Compte tenu de ces perspectives d’inflation très incertaines, le risque d’une erreur de politique monétaire des banques centrales pouvant conduire à une récession est la plus grande menace pour les marchés financiers.

Michel Doucet, vice-président, stratège en placement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

Dans un contexte de multiples interrogations sur l’évolution de la situation économique, le second semestre s’ouvre [taux d’intérêt] et financiers, mais aussi des résultats commerciaux. Entre autres, les derniers signes annonciateurs d’une récession aux États-Unis se confirmeront-ils dans les prochaines semaines ? Notamment les dépenses de consommation, qui pourraient brutalement ralentir après quelques trimestres très solides en sortie de pandémie ? Et si ce début de récession se confirme, que fera la Réserve Fédérale de sa politique monétaire de fortes hausses de taux d’intérêt pour juguler une inflation devenue trop élevée ? Enfin, quelle est la crédibilité des anticipations de bénéfices des entreprises, qui restent élevées malgré le risque accru de ralentissement économique et de récession ? En cas de révision à la baisse des anticipations de bénéfice par action, on pourrait assister à une nouvelle phase de correction du marché boursier.

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

Mon scénario de base montre maintenant que la croissance économique ralentit en dessous de son potentiel, le risque de récession restant relativement faible. Je m’attends également à ce que l’inflation demeure forte au cours du trimestre, avant de se calmer un peu plus tard avec le ralentissement de l’économie qui pourrait survenir à l’automne, notamment de la demande des consommateurs pour les biens et services. Cela dit, de nombreuses incertitudes économiques préoccupent encore les marchés financiers, notamment la possibilité d’un scénario de récession dans un proche avenir. En attendant l’évolution de cette situation dans les mois à venir, ainsi que le suivi de la politique monétaire par les banques centrales [taux d’intérêt]la patience et l’attention à la stratégie d’investissement sont encore nécessaires.

Hugo Ste-Marie, directeur de la stratégie de portefeuille et de l’analyse quantitative, Scotiabank Markets…