«Je ne pense pas que dans l’idéologie à la base, on voulait exterminer des Juifs. Qu’ils aient été exterminés, c’est une chose. L’ont-ils été parce que c’était des nazis? Je ne le crois pas. […] Je pense qu’il y a un débat à y avoir là-dessus», a lancé l’avocate de la défense Hélène Poussard. Cette dernière a pris la parole après les plaidoiries de la Couronne dans le dossier de Gabriel Sohier Chaput, 35 ans, qui est accusé d’avoir fomenté à la haine en tenant des propos nazis sur un site web américain populaire chez les suprémacistes blancs. L’avocate a ainsi fait savoir au juge qu’elle refusait d’admettre que c’est en raison de l’idéologie nazie que les Juifs ont été exterminés durant la Deuxième Guerre mondiale. «Je pense que si les gens sont morts dans un camp de concentration, c’est parce qu’on voulait sauver de l’argent. C’est ce que j’ai appris. […] C’était moins cher de les gazer que de les amener à destination», a-t-elle poursuivi.   «Vous n’êtes pas sérieuse, maître? Je pense que c’est mieux que vous arrêtiez, je pense que vous dépassez les bornes du raisonnable», l’a sitôt avertie le juge Manlio Del Negro.  De son côté, l’accusé n’était présent que par vidéo et semblait ennuyé par les débats, les yeux lourds par moments. Il soupirait ou roulait des yeux durant les plaidoiries de la Couronne, Me Patrick Lafrenière.  Ce dernier a longuement tenté de convaincre le juge aujourd’hui que les propos tenus par Sohier Chaput, que l’accusé défendait comme «satiriques», étaient plutôt une incitation à la haine.   «Il n’y a rien dans le format ou les paroles qui laissent croire que c’est une blague», a martelé Me Lafrenière.  Rappelons que l’accusé, qui signait ses publications sous l’alias Zeiger, a notamment publié des commentaires comme «2017 sera une année d’action» et «du nazisme non-stop, partout, jusqu’à ce que toutes les rues soient inondées des larmes de nos ennemis». Selon son témoignage, l’accusé a dit ne pas croire que les «vrais nazis» comme dans le temps de la Deuxième Guerre mondiale existaient encore aujourd’hui et qu’il s’agissait plutôt d’une «invention d’Hollywood», a rappelé la Couronne en estimant que son affirmation manquait de crédibilité.  «Il est impossible qu’un gars articulé, renseigné et intelligent ne savait pas que chez certaines personnes, [ses propos] fomenteraient la haine. Il s’est aveuglé volontairement, a-t-il ajouté. C’est du nazisme ironique, qui n’est pas ironique finalement. Il veut vraiment attiser la haine.» L’avocat estime ainsi que de par leur portée et le contexte de leur publication – dans le Daily Stormer, un site de droite où sont véhiculés des propos racistes, homophobes et misogynes, selon lui –, les propos sont «clairement de la propagande haineuse». «Être raciste n’est pas un crime […], a cependant rappelé le magistrat. Les commentaires de l’accusé pour la plupart sont des commentaires racistes, déplacés, grossiers et inappropriés, c’est sûr et certain. Mais est-ce que ça constitue un crime?» Le juge a aussi rabroué à plusieurs reprises la Couronne, qui aurait pu faire venir des experts pour témoigner sur l’idéologie nazie et le mandat de Daily Stormer.  Au même moment devant le palais de justice de Montréal, quelques dizaines de personnes se sont réunies avec des pancartes pour dénoncer le caractère inacceptable des commentaires de l’accusé en ligne.  «Ce n’est pas vrai qu’on peut tout dire derrière un écran. C’est surtout un message contre la haine qu’il faut envoyer. Ça ne sert absolument à rien et ce n’est pas ok de donner de la haine à des minorités», souligne Sao, 17 ans.  Simon, un militant antifasciste, déplore quant à lui la frontière floue entre l’humour et le discours haineux sur laquelle jouent les groupes suprémacistes sur le web.  «Ça n’a pas sa place. Ces gens-là utilisent le discours sur la liberté d’expression en oubliant qu’elle s’arrête là où ça blesse des gens, là où on appelle au meurtre et à la haine des minorités», a-t-il martelé.