Posté à 6h00
                Nathaëlle Morissette La Presse             

Non seulement limitée au secteur du meuble, cette tendance à la « délocalisation » semble toucher l’ensemble du secteur manufacturier, confirme Véronique Proulx, présidente-directrice générale des Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ). Ainsi, selon un récent sondage mené par l’Association des manufacturiers de meubles du Québec (AFMQ) auprès de ses 83 membres, 33 % ont déclaré « étudier la possibilité de fabriquer » à l’extérieur de la province. L’enquête ne s’est pas penchée sur les lieux de production précis souhaités par les entreprises, mais la ville de Juárez, dans le nord du Mexique, semble en attirer plusieurs, souligne Gilles Pelletier, président-directeur général de l’AFMQ. Les pénuries de main-d’œuvre et les délais « anormalement longs » – 16 mois, selon l’enquête de l’AFMQ – avant l’arrivée des travailleurs étrangers temporaires incitent les fabricants de meubles à envisager d’autres avenues. « Le dégoût est tellement grand que les gens commencent à songer à produire ailleurs », lance sans ambages M. Pelletier, lors d’une entrevue avec La Presse. Nous recevons des messages de migration. C’est inquiétant. C’est quelque chose que vous n’avez pas souvent entendu auparavant. » « Au Mexique, ils ont une maquiladora. Ce sont des zones franches souvent proches des douanes américaines. Juarez est l’un de ces endroits. ARCHIVES PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE Une maquiladora à Juárez, dans le nord du Mexique. “Il y a des incitations financières pour que les entreprises s’y installent et elles ont accès à une main-d’oeuvre abondante”, explique-t-il, ajoutant au passage que les industriels qui s’installent dans les pays d’Andrés Manuel López Obrador ne le font pas “le coeur léger”. “. Réjean Poitras, président et chef de la direction d’Amisco, qui se spécialise dans les meubles en métal, fait partie de ceux qui ont dû prendre cette décision déchirante. Son entreprise, dont le siège social est à L’Islet, Chaudière-Appalaches, possède une usine dans le même secteur, ainsi qu’à Saint-Pascal-de-Kamouraska et Shawinigan. Cependant, Amisco, qui produit 400 000 meubles par an, veut poursuivre sa croissance. Le fabricant est actuellement en négociations finales pour louer un espace de production à Juárez. L’entreprise souhaite démarrer la production début 2023. PHOTO AVEC L’AIMABLE AUTORISATION D’AMISCO Amisco produit 400 000 meubles par an “Le but n’est pas de réduire nos activités au Québec”, insiste M. Poitras. Mais on assiste à une baisse de notre capacité de production, non pas parce qu’on va licencier, parce qu’on va perdre des gens qui vont partir à la retraite et les difficultés de recrutement vont rester grandes longtemps. Dans ce cadre nous allons au Mexique, pour pouvoir maintenir et éventuellement augmenter nos activités de production. » Le grand patron d’Amisco, qui compte actuellement 500 employés, estime que les gouvernements provincial et fédéral sont en partie responsables de cette situation puisqu’ils n’accélèrent pas le processus d’accueil des travailleurs étrangers temporaires. PHOTO AVEC L’AIMABLE AUTORISATION D’AMISCO Réjean Poitras, président et chef de la direction d’Amisco Nous avons besoin de plus de travailleurs étrangers, qualifiés et non qualifiés. Il est important que le processus d’intégration des employés soit beaucoup plus fluide, beaucoup plus court et mieux accompagné dans les régions. Réjean Poitras, président et chef de la direction d’Amisco À Sainte-Croix-de-Lotbinière, le fabricant de meubles Rive-Sud, qui possède deux usines au Québec, possède également des installations à Juárez. Mais ce n’est pas nouveau. La Rive-Sud y est établie depuis douze ans. Ainsi, la moitié de la production se fait ici et le reste, en sol mexicain, explique Jean-Stéphane Tremblay, président et chef de la direction du manufacturier québécois, spécialisé dans la vente en ligne. “Je peux comprendre que certaines entreprises se posent des questions et se demandent ce qu’elles vont faire”, admet-il. « Si nous n’avions pas actuellement d’usine au Mexique, il est clair que l’installation là-bas pourrait être considérée comme une solution pour atténuer le problème de main-d’œuvre auquel nous sommes confrontés. » ARCHIVES PHOTOS LE SOLEIL Meubles Rive Sud, à Sainte-Croix-de-Lotbinière South Shore a récemment accueilli 12 travailleurs de son usine de Juárez, au Québec, pour combler des postes vacants à ses installations de Coaticook et de Sainte-Croix-de-Lotbinière. “C’est bon pour nous. Ce sont des gens que nous connaissons et qui travaillent déjà pour notre organisation, souligne M. Tremblay. Ils connaissent nos processus, nos machines. Ils arrivent ici et peuvent déjà travailler. Nous leur avons donné des cours de français au Mexique. Nous avons acheté deux maisons pour les loger. »

Impôts perdus

D’ailleurs, cet « exil » n’est pas sans conséquences, déplore Gilles Pelletier. Il mentionne en particulier la perte d’investissement et de connaissances. Actuellement, 40 % de la fabrication de meubles au pays se fait au Québec. “L’histoire se répète”, déplore-t-il. On l’a vu dans d’autres industries comme le textile. Nous nous retrouvons dans une industrie de services. » « Toutes les installations que nous avons, les équipements que nous avons, resteront sous-utilisés, ajoute Réjean Poitras. Il y a des impôts à payer au Québec qui seront moins élevés. » “Il y a beaucoup de joueurs qui n’ont peut-être pas les moyens ou les ressources pour s’installer ailleurs”, poursuit-il. Je pense que cela peut aller jusqu’à fermer les petits joueurs. » Cette situation qui touche le secteur du meuble n’étonne pas Véronique Proulx. Selon une étude publiée l’automne dernier par les Manufacturiers et Exportateurs du Québec, 15 % des entreprises sondées disent avoir envisagé de déménager entre 40 % et 50 % de leurs opérations à l’extérieur de la province. “C’est vraiment un dernier recours”, dit-il. Les ministères fédéraux et provinciaux de l’immigration ne sont pas des ministères économiques. Nous avons besoin que le gouvernement accélère le processus [pour faire venir des gens ici]. »

Fabrication de meubles au Québec

40% de la fabrication de meubles au pays se fait au Québec L’industrie représente plus de 20 000 emplois 500 entreprises 90 % des exportations québécoises d’ameublement sont destinées aux États-Unis