A la montée, les navetteurs klaxonnent pour repousser le goudron téméraire, galvanisés par l’arrivée imminente de leurs idoles. “L’une des côtes les plus dures du monde”, se détend Yoann, soldat du régiment de Belfort et passionné de vélo. La marée humaine attendue monte : les drapeaux tricolores flottent, les cinq lettres du nom de la scène locale marquent le tarmac par centaines à la flamme rouge. « Tout le monde nous encourage, nous offre des bières, mais nous ne pouvons pas ! Yoann sourit. Au sommet de la difficulté pure de cette 7ème étape, surmontée pour l’occasion d’un kilomètre de route poussiéreuse comme en 2019, Pierre et sa tribu ont mis les pieds : lui et ses collègues du Collectif Ultras Pinot (CUP) – en référence à Le Collectif Ultras Paris, qui soutient le PSG, club que le cycliste adore, est prêt à célébrer ce que tout le monde attend. Ce groupe informel de six personnes s’est formé lors de la première vague de Covid-19, il y a deux ans. “Je m’en foutais jusqu’à ce que Thibaut Pinot retrouve la forme cette année, et nous aussi !” Umbert, l’un des deux fondateurs, commence. « C’est avant tout le plaisir des copains qui adoptent la mentalité des Ultras, dont Pinot raffole. C’est justement cette incongruité avec les Ultras qui nous fait rire, car il n’y a pas trop de ça dans le cyclisme. Mais il y a des stands de montagne qui ressemblent à l’ambiance d’un terrain de foot”, précise-t-il. Des membres du Collectif Ultras Pinot déploient une banderole lors de la 7e étape, le 8 juillet 2022. (DR / FRANCEINFO:SPORT) L’éventail des marques d’amour pour l’occasion est conséquent : des tee-shirts “Allez Thibaut Pinot”, un drapeau avec la tête du Franc-Comtois et deux “tifopino” : l’un reprend les couleurs de l’édition football CUP, l’autre écrit ” Allez Pinot” sur une bâche de fortune. “L’idée était d’être un peu comme les tifos du club de foot, seulement nous étions deux dans notre loft avec mon père”, sourit celui qui y dormait pour se réserver un poste de choix juste après la ligne de touche. A vouloir développer un tel arsenal d’affection, Pierre et ses amis sont restés longtemps coincés avec le grimpeur. “Ma première idole a été Andy Schleck. En 2012, il s’est blessé au Critérium du Dauphiné juste avant le Tour. J’étais dégoûté, mais j’ai découvert ce petit bonhomme qui s’appelle Thibaut Pinot, qui a gagné à Porrentruy”, explique Peter. Guy, un autre membre du Collectif, se souvient de son électrocution de Thibaut Pinot en 2009 lors d’une sortie d’entraînement. “Il était au Ballon d’Alsace, il n’était pas encore professionnel. J’ai été arrêté à une épingle et j’ai vu une fusée monter. C’est là que j’ai découvert le gars.” De quoi coller les Franc-Comtois au cœur. “Pour moi, c’est au-delà de ce que ça défie sur un vélo : depuis 2009, je pense que c’est l’élite. Ses problèmes ont décuplé mon amour pour ce coureur, que j’apprécie pour son potentiel. Guy, membre du Collectif Ultras Pinot sur franceinfo : sport Cependant, la sève de leur affection pour Pinot n’empêche pas leur lucidité envers leur poulain : malgré la fureur des Vosges, personne n’imaginait Pinot mener le combat à sa place. “Je préfère ne pas trop rêver. Je sais que ni par sa forme ni par son jeu d’équipe, il y a peu de chances qu’il gagne. J’espère juste qu’il s’amuse”, notait Pierre en début de scène. . “En plus de ça, il n’a pas de jambes. Il sort du Covid, huit jours d’arrêt. On ne s’arrête pas comme ça juste avant le Tour sans avoir de conséquences”, poursuit Guy, T-shirt Collectif Ultras Pinot sur les épaules. Des membres du Collectif Ultras Pinot étaient présents au sommet de la Super Planche des Belles Filles, le 8 juillet 2022. (THEO GICQUEL / FRANCEINFO:SPORT) Chutant à 4,2 kilomètres du sommet, le Franc-Comtois a dû renoncer à briller à deux pas de sa ville natale et actuel village de Mélisey. Malgré une foule aimante et conciliante avec lui qui n’arrive pas à se lâcher malgré ses déboires, le Français a laissé Tadej Pogacar et consorts apprivoiser le tarmac puis les graviers de La Planche sans lui. “Pas étonnant,” lâche Pierre en haussant les épaules quand il a vu son passe-cloison déclipsé sur la pente. Les timides injures de la déception ont vite fait place à des applaudissements enthousiastes lorsque le Français a franchi la ligne à 2’26 du vorace Slovène. “L’atmosphère, comme toujours, est magique. Ils (le public) étaient présents, pas moi, et c’est dommage”, a déclaré Pinot à son arrivée. L’arrivée de Thibaut Pinot chez lui, au sommet de la Super Planche des Belles Filles. Applaudissements de son public à domicile, très juste pour gagner #TDF2022 pic.twitter.com/j0PDl1atHG – Théo Gicquel (@theoogicquel) 8 juillet 2022 En féroce compétiteur qu’il est, le Français était “forcément déçu” de ne pas avoir pu peser sur la course. Trop dur avec lui-même ? Sorti du Covid-19 qui a interrompu sa préparation d’avant-tournée, le Franc-Comtois n’est toujours pas au complet. Mais peu importe. A 32 ans, après six mandats au Conseil (dont une vice-championne en 2014), personne dans les Vosges ne lui demande autre chose que de se battre pour eux. “Dans le district, ça fait longtemps qu’on n’a pas eu de grand champion. Au-delà, c’est ce qui provoque les gens, les émotions”, se souvient Guy. “Ce qui nous fait vibrer, c’est quand il joue quarterback. Un peu moins, mais on s’en fout, on obtient ce qu’on doit obtenir. C’est un mec adorable, quoi qu’il arrive. On ne peut jamais lui en vouloir, parce que tu sais qu’il se déshabille, qu’il C’est comme ça. On ne peut pas l’aimer quand ça va bien », conclut Umbert, pas un sou déçu par la 31e place du Tricolore. Thibaut Pinot a raté de peu sa rencontre avec La Planche, mais l’ivresse populaire pour lui reste au zénith et la CUP pourrait bien gagner quelques adeptes d’ici la fin du Tour.