Lors de son discours de politique générale mercredi, Elisabeth Borne a beaucoup parlé de compromis. Mais a-t-il pris des engagements de fond ?

J’avais l’impression que le Premier ministre disait « nous allons faire des compromis, mais sur nos bases ». Tout en déroulant le programme du président de la République jusqu’à la réforme des retraites, sans tirer la moindre conclusion du renoncement électoral. Elle-même n’a pas esquissé le moindre compromis, ni dit ce à quoi elle était prête à renoncer. Le programme d’Emmanuel Macron n’est pas le nôtre, c’est un fait et nous avons des propositions à faire, mais est-elle prête à les écouter ? C’est-à-dire conclure des ententes fondées sur des propositions qui ne viennent pas du gouvernement?

Vous avez déposé une motion de censure commune à Nupes, que vous appelez une « motion de censure ». Institutionnellement rien ne change, quelle est la nuance ?

On parle d’une « motion de censure » qui reflète la question de confiance que le Premier ministre a refusé de soulever. Le Parlement, qui retrouve après ces élections une nouvelle position centrale, n’a pas pu exprimer son avis et l’absence de vote ne peut être considérée comme un soutien tacite. Cette motion de censure est l’occasion de remettre les pendules à l’heure. Le pouvoir, en quelque sorte, a glissé de l’Elysée au Palais Bourbon.

Cette démarche ne donne-t-elle pas l’impression d’une opposition de principe ?

Je ne crois pas. La motion de censure ne constitue en aucun cas un refus de travail parlementaire. Au lieu de cela, le “parlementarisme de facto” issu des sondages peut donner au Parlement un rôle qu’il n’a pas eu depuis longtemps. Nous sommes dans un dialogue institutionnel avec le gouvernement, mais aussi avec les autres groupes du Parlement. Nous sommes plus que jamais le législateur et le gouvernement, donc, plus que l’exécutif ordinaire.

Vous avez fait des propositions pour réformer le travail parlementaire, notamment en redonnant le contrôle de l’ordre du jour à la Conférence des présidents de l’Assemblée. Cela touche à la primauté du pouvoir exécutif de nos institutions… Comment le gouvernement, déjà face à une Assemblée où il n’a pas de majorité, pourrait-il accepter de supprimer ce privilège ?

Je lui propose de partager le pouvoir de l’exercer, de prendre en compte ce nouvel équilibre institutionnel. Ne pas décevoir le Parlement… Pas même les électeurs qui l’ont voulu ainsi. Le gouvernement peut mettre à l’ordre du jour des textes qui viennent du Parlement : je suggère qu’il le fasse plus systématiquement, y compris avec les projets de loi de l’opposition. C’est à nous et aux autres groupes d’opposition de convaincre puis de défendre les textes. Et puis, si cela nous amène à moins légiférer, ce n’est peut-être pas si mal.

Le pouvoir d’achat sera la pièce de choix de cette rentrée législative. L’une des mesures prises par Elisabeth Borne mercredi concerne la déconnexion de l’allocation adulte handicapé. Le révolutionnaire Manuel Bompard a déclaré qu’il ne dirait pas non à un chèque même s’il le jugeait insuffisant… Est-ce à dire qu’un terrain d’entente est possible ?

Chez AAH, c’est une bonne nouvelle ! Si elle va dans ce sens, Elisabeth Borne peut compter sur notre soutien. C’était notre combat pendant cinq ans, le gouvernement n’en voulait pas. Sinon, je réserve mon vote à la discussion. La vie française est très difficile. C’est généralement parce que beaucoup de Français n’arrivent pas à joindre les deux bouts : 20 % vivent sans assurance, 10 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est important. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup de gens qui ont un travail et qui n’en vivent pas. Mais notre philosophie n’est pas de verser des chèques ou des primes qui ne créent pas de droits sociaux. Tant mieux pour ceux qui les touchent. Mais nous voulons que le travail soit rémunéré, pour que chacun puisse vivre dignement de son salaire et financer ses retraites, alors parmi nos propositions, entre autres, il y a une augmentation du salaire minimum.

Si la suppression de la redevance audiovisuelle figurait dans le projet gouvernemental, serait-ce une ligne rouge qui rendrait impossible l’adoption de ce texte ?

Nous ferons une contre-proposition, car nous voulons que l’audiovisuel public se donne les moyens de ses missions d’intérêt général, et nous sommes attachés à l’indépendance de la rédaction de l’audiovisuel public. Cela nécessite des ressources indépendantes. Donc, nous ferons des propositions, le groupe socialiste au Sénat y travaille depuis longtemps.

Les équipes du Nupes ont présenté un contre-projet “Urgence sociale”, qui était au programme commun du Nupes…

Et dont beaucoup de propositions figuraient également au programme du Parti socialiste

Votre facture comprend beaucoup de mesures généreuses, mais est-elle vraiment bancable ? Il y a cette fameuse taxe sur les super profits des plus grosses entreprises… Est-ce réaliste ?

On s’interroge toujours sur la question des dépenses publiques et des recettes publiques plutôt minimales. Oui, c’est finançable. Vous évoquez l’impôt sur les bénéfices excédentaires, de nombreux pays européens l’ont déjà mis en place. En outre, nous devons travailler plus largement sur la justice fiscale. Quelques exemples : je vois les classes moyennes payer les impôts des super riches pas assez, surtout après la suppression de l’ISF et l’introduction de la flat tax. Le capital est moins taxé que le travail. Il faut aussi améliorer la progressivité de l’impôt sur le revenu, le taux d’effort des plus riches est inférieur à celui de la première tranche. De la même manière, les PME paient les impôts des multinationales qui ne les paient pas. Ces derniers consolident 40 % de leurs résultats dans des paradis fiscaux : tous les pays de l’Union européenne sont privés de 20 % des recettes fiscales des entreprises. Des dizaines de milliards d’euros chaque année ! Dernier exemple : la réforme du droit des successions. La Stratégie française explique qu’il y aura de plus en plus d’actifs importants concentrés dans de moins en moins de mains. Il faut organiser la redistribution avec une réforme de la fiscalité des successions très élevées. Que l’on puisse transmettre le fruit d’une vie de travail à ces enfants, imposés à l’origine au titre de l’impôt sur le revenu, c’est tout à fait normal. Lorsque le loyer augmente à partir du loyer, il y a un problème.

Proposer une réforme fiscale massive. Y a-t-il une majorité pour cela à l’Assemblée ?

Je ne désespère jamais de la persuasion, c’est un travail parlementaire.

Avec les autres groupes de gauche, vous formez l’intergroupe Nupes. Comment se passe le travail avec vos collègues ?

Bien. C’est un organe de coordination et nous apprenons donc à coordonner notre travail. Il y a des choses qu’on fait ensemble, d’autres que les équipes feront indépendamment les unes des autres…

On a peut-être eu l’impression qu’avec la motion de censure, par exemple, les rebelles ont pu tordre un peu le bras des autres groupes de gauche…

Ce dont je me souviens, c’est que nous avons une motion conjointe de censure, rédigée et déposée conjointement.

Êtes-vous le leader du groupe socialiste, avez-vous un groupe uni ? On sait que certains sont plutôt « sceptiques »…

Nous sommes une équipe unie parce que nous voulons travailler, parce que nous savons pour qui nous nous battons. Nous voyons ces vies difficiles dont j’ai parlé dans nos terres. Nous sommes unis parce que nous sommes tous les deux dans un rassemblement de la gauche, mais nous y sommes en tant que socialistes. Et personne ne nous a demandé de ne plus l’être. La moitié du groupe a été renouvelée, il y a beaucoup de jeunes passionnés qui ont envie de faire des choses, il y a de l’expérience, de la compétence… C’est plutôt un bon groupe.

L’outil Nupes a-t-il encore son utilité, a-t-il prouvé sa pertinence ?

je le crois Déjà, avant le deal, les gens me disaient : ‘Quand vas-tu bien ? “. Les Nupes ont apporté un grand espoir à la gauche. C’est quelque chose à cultiver. Il y a beaucoup de questions orphelines sur lesquelles nous devons continuer à travailler, et nous le ferons avec qui nous sommes, notre culture, notre histoire, notre imaginaire, le notre détermination. Je suis dans un cadre collectif et président d’un groupe qui veut et qui existera. Je crois que l’histoire est encore devant nous. Nous avons bien fait, mais je vois que nous n’avons pas gagné les élections, donc cela signifie que nous avons Au niveau national, dans le Land, le Rassemblement national a doublé sa cote par rapport à 2017. La question de l’abandon économique et social des classes laborieuses rurales est une question sur laquelle nous devons continuer à travailler. . Je suis d’accord avec ce que vous avez dit. …