Enquête L’entreprise a utilisé, en France et dans d’autres pays, une technique qui lui permet de verrouiller à distance ses ordinateurs lors des visites de police, tout en augmentant la pression politique. Le directeur juridique d’Uber pour l’Europe n’a même pas pris le temps de signer son e-mail. Le 17 novembre 2014, alors que des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) perquisitionnent les locaux de l’entreprise à Paris, Jacques de Kiewit ne prononce que quatre mots : « Coupez l’accès immédiatement. Treize minutes plus tard, un des ingénieurs de l’entreprise l’informe qu’il s’est conformé. Chemin faisant, l’avocat rassure sa hiérarchie : « La DGCCRF a perquisitionné nos bureaux. L’accès a été désactivé. » Il n’a fallu que quelques minutes à Uber pour recourir à l’une de ses techniques les plus efficaces pour empêcher les États de s’immiscer dans ses affaires : ce que ses employés appellent en interne le “kill switch”. ). “Arrêt d’urgence ” ). Elle consiste à couper l’accès des ordinateurs d’une de ses filiales aux fichiers et systèmes internes du groupe, afin d’empêcher la récupération des données intéressant les autorités – qui, en 2014 et 2015, enquêtent sur la entreprise à intervalles réguliers. favoriser leurs investigations concernant, le cas échéant, une éventuelle évasion fiscale, une activité illégale de taxi ou une relation de dépendance entre l’entreprise et ses chauffeurs. “Uber Files”, une enquête internationale Les “Uber Files” sont une enquête basée sur des milliers de documents internes d’Uber transmis par une source anonyme au journal britannique The Guardian et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde. Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datant de 2013 à 2017, offrent une rare plongée dans les arcanes d’une start-up qui tentait alors de s’implanter dans les villes du monde entier malgré un cadre réglementaire défavorable. Ils détaillent comment Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ruses du lobby pour tenter de faire changer la loi en sa faveur. Les “Uber Files” révèlent également comment le groupe californien, déterminé à se placer devant le fait accompli et, le cas échéant, à opérer dans l’illégalité, a mis en place des pratiques contournant délibérément les limites de la loi ou pouvant s’apparenter à une obstruction judiciaire aux enquêtes dans lesquelles L’object. Retrouvez tous nos articles de l’enquête “Uber Files”. Voir plus Voir moins
Les “Uber Files” montrent qu’Uber, sous l’impulsion de ses hauts dirigeants, a utilisé cette technique au moins une dizaine de fois entre novembre 2014 et décembre 2015 pour tenter de déjouer des enquêtes judiciaires et administratives dans plusieurs pays, dont la France. Dans certaines juridictions, dont la France, où elle a été utilisée six fois, cette activité peut constituer une entrave. Alors que certaines utilisations de ce kill switch avaient déjà été rapportées dans la presse, les révélations du Monde apportent de nouveaux détails sur son utilisation, notamment en France. Les documents que nous avons examinés contredisent la défense d’Uber, qui a toujours expliqué coopérer avec les enquêteurs et a refusé de se livrer à de telles pratiques devant la justice américaine. Ce kill switch a notamment deux aspects : la capacité de stopper l’accès d’un ou plusieurs salariés aux outils internes de l’entreprise (documents, e-mails, bases de données, etc.) mais aussi celui de verrouiller les ordinateurs, qui deviennent inutiles. Sur le papier, cette fonctionnalité peut être utilisée légalement, en cas de vol ou de perte de matériel. Pourtant, les centaines de messages internes que nous avons pu consulter montrent à quel point le recours à ce procédé a été détourné, devenu réflexif en cas d’enquête diligentée contre l’entreprise. Il vous reste 82,01% de cet article à lire. Ce qui suit est réservé aux abonnés.