Posté à 5h00
                Tristan Péloquin La Presse             

« Vous dormez au maximum trois heures par jour, une heure à la fois, jusqu’à ce que vous soyez réveillé par l’explosion d’un obus. La tranchée devient votre maison. Le moral est bon. On se détend, on rigole de l’artillerie russe qui nous manque tout le temps », raconte Speedy, un combattant volontaire de Québec qui vient de passer quelques semaines sous le feu. Parti en Ukraine il y a quatre mois pour apporter de l’aide, il s’apprête à rentrer au pays avec un sentiment d’accomplissement. Il veut même retourner au front dès qu’il aura un peu de repos. C’est nul de le dire, mais j’aime le risque, j’aime l’adrénaline. Au front, on a tous peur, mais ça fait partie de la guerre, il faut apprendre à vivre avec. Je veux continuer à me battre. Speedy, combattant volontaire canadien en Ukraine La Presse a accepté d’identifier Speedy par son nom uniquement pour protéger son identité et celle de ses proches. Lors de son déploiement dans le nord-est du pays avec un bataillon appelé le Sich des Carpates, il est principalement impliqué dans des missions défensives dans des tranchées creusées dans de fines bandes de forêt pour empêcher l’avancée des Russes. Désolé, votre navigateur ne prend pas en charge la vidéo
Lui et ses trois camarades – des volontaires américains – étaient constamment bombardés par des mortiers et des chars ennemis. Des drones survolaient constamment leurs positions pour les repérer et réguler le tir. Ils y restaient généralement 24 heures avant d’être relevés. « On s’habitue au bruit des explosions. Ça devient ta routine”, raconte le combattant. PHOTO OFFERTE PAR SPEEDY Speedy a principalement participé avec ses compagnons à des missions défensives. Le 19 juin, le commandant des Sikhs des Carpates, Oleh Kuchin, a été tué lors d’une frappe aérienne. Depuis, l’organisation logistique au sein du bataillon est devenue plus chaotique, estime Speedy. Lui et son unité sont restés 10 jours dans leur tranchée, jusqu’à ce qu’elle soit à court d’eau. “Nous avons fini par aller chercher de l’eau dans un cratère d’obus au milieu d’un champ ouvert. On était quatre gars tout seuls, contre des chars, des lance-roquettes et plein de soldats. C’était le meilleur moyen de se faire tirer dessus par un sniper, mais nous n’avions pas d’autre choix. C’était comme mourir de déshydratation. »

Bombes au phosphore blanc

À la tombée de la nuit, les Russes larguent à plusieurs reprises des bombes au phosphore blanc sur leurs positions. “Il est tombé à 200 mètres de nous. S’il vous frappe, il traverse vos os jusqu’au sol », explique Speedy. Considérées comme des armes incendiaires, ces bombes hautement destructrices ne sont pas expressément interdites contre des soldats, mais leur utilisation contre des civils constitue un crime de guerre. PHOTO OFFERTE PAR SPEEDY Attaque au phosphore blanc, à quelques centaines de mètres de la tranchée où se trouvaient Speedy et ses frères américains Speedy dit qu’il n’a pas été payé pour son rôle dans l’effort de guerre. Son voyage d’environ quatre mois lui a coûté entre 20 000 et 30 000 dollars, estime-t-il. J’ai payé des courses pour des citoyens qui n’avaient plus d’argent. J’ai fourni du matériel militaire aux soldats. J’ai mangé toutes mes économies, mais je ne regrette rien. Je suis comme ça, j’ai un grand coeur… ça vient de ma famille. Speedy, combattant volontaire canadien en Ukraine Narval, un Canadien qui s’apprête également à rentrer chez lui, a un peu plus de chance : il est affecté à un bataillon qui lui paie environ 4 000 $ par mois, le même salaire que les soldats ukrainiens.

Munitions manquantes et canons usés

Le combattant vétéran, qui a également passé beaucoup de temps dans les tranchées en position défensive, décrit l’armée ukrainienne comme une organisation coincée à l’époque de la Première Guerre mondiale : « Les officiers sont les seuls à connaître les détails des opérations. Peu d’informations sont partagées », déplore-t-il. Là où il se trouvait, dans le Donbass, l’artillerie ukrainienne manquait de munitions. Ses armes, usées par l’utilisation intensive des derniers mois, étaient moins précises. PHOTO OFFERTE PAR SPEEDY Armes antichar “C’est la guerre. Il y a des choses qui sont attendues, d’autres qui sont tout simplement choquantes”, explique Narval, notant, entre autres, que les viseurs des armes antichars Javelin fournies par l’Occident se déchargent de batteries et deviennent inutilisables “au bout de quatre minutes”. De nombreuses armes fournies par l’Occident ont également tendance à disparaître “du jour au lendemain” à cause de la corruption, affirme-t-il. Les gens n’en parlent pas parce que c’est considéré comme antipatriotique, mais le problème est très présent dans l’armée ukrainienne. Narval, combattant volontaire canadien en Ukraine Avec son petit contingent de combattants volontaires étrangers, il a fabriqué des bombes artisanales destinées à être larguées par des drones commerciaux de bricolage. “Nous en avons fabriqué environ 60, mais nous avons dû les donner à une autre unité car nous n’avons jamais pu obtenir un drone approprié pour les larguer efficacement”, explique Narval. “C’est éprouvant pour les nerfs, mais je suis extrêmement fier de ce que j’ai accompli”, a déclaré Narval, qui est actuellement de retour sur les lignes de front pour une dernière mission avant de retourner au Canada. Même chose pour Speedy : « Tous les soldats diront qu’ils auraient aimé pouvoir faire plus, mais en fin de compte, je suis vraiment, vraiment fier de ce que j’ai fait. Je n’ai absolument aucun regret », confie-t-il.